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Joseph BARRIERE - Poète

 

Ci-dessous, quelques poèmes sélectionnés parmi les textes rassemblés dans le livre le Champ de Seigle publié en 1941 (Editions de la Revue des Poètes, 500 exemplaires) et qui reçu en 1942 le prix annuel de poésie de l'Académie Française.

Ces poèmes viennent compléter la description des oeuvres de l'artiste et témoigner de la grande sensibilité qu'il savait exprimer non seulement avec ses couleurs mais aussi avec les mots.

LA LECON DE DESSIN
à ma mère - 20 Juillet 1937

Dans la salle à manger, la table, spacieuse ;

Les enfants, accoudés en cercle à chaque bout ;

Cependant que, dehors, darde le soleil d'août,

L'après-midi s'est faite intime et studieuse.

Aux cartables, à l'étagère, on a repris

La grammaire, l'histoire, ou le livre de prix,

Une page s'ajoute à la page tournée

L'heure lente rejoint l'heure déjà sonnée,

Et la narration et le thème latin

 - Ou le Montalembert - poursuivent leur destin,

Non sans que soit parfois leur loi fastidieuse...

- Mais vous ne décrétez la leçon de dessin :

Montalembert est clos, l'heure lente s'abrège,

Et la tendre sanguine où sourit le Corrège,

La minerve casquée ou la Vierge au coussin,

Ce fusain d'Appian, dont s'estompe une rive

Vos liserons, que leur spirale enlace et rive

Depuis quatre-vingts ans aux rames de jardin,

Voire l'humble cahier de bâtons, font soudain

Muer en atelier la classe - et l'on s'active

Chacun selon son goût, son âge et son talent

Tandis que vous suivez d'un crayon vigilant

La ligne qui dévie, ou l'ombre intempestive.

... On efface, on reprend ; de leçon en leçon,

Le liseron fleuri, Minerve prend façon,

La Vierge de Sarte penche son doux visage,

Et peut-être - voilà septembre finissant -

Sous quel ciel de prime automne opalescent,

Nous irons dessiner, dehors, un paysage !

 

A mon tour, en des doigts flexibles et menus,

En le naissant émoi de juvéniles âmes,

Fidèle, j'ai transmis pour de nouvelles flammes

Le ferment de ce vin aux jalouses vertus.

Et si parfois, goûtant le capiteux breuvage,

Quelqu'un de nos petits-enfants tressaille et sent

Une brise fraîchir dans sa nuit d'insomnie

Ou passer un vertige à son front palpitant,

Qu'il sache à qui devoir l'ivresse d'un instant

- Et que dans vos vieux jours vous en soyez bénie ! -

LE JARDIN DES TANTES
pour  mon tableau Le jardin des Tantes exposé au salon des Artistes français en 1936

Une, entre mille, mille et mille,

Tache minuscule le long

De la cimaise du Salon,

La petite toile, immobile,

Sans robe de fête et sans fard,

Au cortège des éclatantes

Première étoiles de l’art,

Tout uniment « Jardin des Tantes »,

N’a sollicité nul regard

De la déferlante cohue…

 

Et, clos le caravansérail,

Simplement, pas même déçue,

Elle regagnera l’issue

Qui doit la rendre à son bercail,

Inapprochée, inaperçue.

 

Mais, telle en l’Escurial

Dans leur Vélasquez les Infantes,

Le modeste « Jardin des Tantes »

Comme un portrait familial,

De son angle de cheminée,

Incessante évocation,

Va répandre à longueur d’année

Sa muette incantation

Et, subtile, mais obstinée,

La contagieuse chaleur

En chaque fleur emprisonnée

Dessous l’illusoire couleur.

 

Les phlox, les reines-marguerites

Les cosmos, les gueules de loup,

Les anthémis, les clématites,

Les roses, la glycine – tout

Ce papillonnement d’ombelles,

De thyrses, de cymes, autour

De la vasque au tendre contour,

Des bancs moussus et des tonnelles,

Ces fugitives floraisons

-Mais renaissantes – ne sont elles

Nous-mêmes? Ainsi, nous passons

En nos successives escales…

Ainsi renaissent à foison,

Des asters d’arrière-saison,

Les frêles jacinthes pascales!

LA PALETTE
à mon maître et ami le peintre et poète Victor CHARRETON

Tous les prismes, tous les rêves, tous les poèmes!

Iris, votre ceinture - Aurore, votre ciel -

Azur du jour, splendeur - vous, Phoebée, irréel

Décor - vous, écrin bleu des Nuits - et vous, vous mêmes

 

Ombres! - votre suaire, ô Neiges, pâleurs blêmes,

Ou fête irradiée aux caprices du gel! -

Et vous Fleurs, Fleurs! couleur vivante, hymne éternel,

Et vous, quartz, marbres, ors, nacres, porphyres, gemmes!

 

Tel Prométhée osant le geste impardonné,

Le Peintre a tout ravi pour sa palette! - Né

D'un peu de boue (1) et de la lumière impalpable,

 

Cime ou rythme, allégresse, émoi, lys ou lotus,

L'oeuvre croît - de la coupe où s'adorne la Fable,

Aux Corrèges - à la Sixtine - à l'Emmaüs!

 

(1) Notre de l'auteur : "... avec un peu de boue..." expression du peintre Henri HARPIGNIES

 

 

 

TOURNOEL
pour mon tableau de Tournoël au lever de lune

Sur le val profond, qu'emplit la nuit brune,

Sur la plaine immense, aux lointains d'argent,

Le vieux château-fort se dresse, érigeant

Ses tours dans l'air calme où tremble la brune,

Et tandis qu'au ciel, dans le soir changeant,

Les étoiles vont poindre une par une,

Il s'endormira, fantôme géant,

Enveloppé d'ombre et de clair de lune...

 

Nuit, qui viens t'épandre aux mortels séjours,

Verse un temps l'oubli de nos tristes jours

A ce grand vaincu, que l'oprobre achève;

Et qu'en un rayon de l'astre qui luit

L'âme des ses Preux le visite - ô Nuit,

Fée enchanteresse et propice au rêve!

LE LOGIS
LA VIEILLE MAISON
en spécial souvenir de Thérèse de la VAISSIERE qui fut si longtemps l'âme acceuillante de ce logis

En quel livre, et par quel ressouvenir, quelqu'un

A-t-il dit qu'un logis s'avère à son parfum?

Que le bois de noyer, de merise ou de rose,

La pile de lessive, en son armoire close

Un sachet de lavande ou de thym à ses plis,

La cire du bahut, le camphre du tapis,

La poussière infiltrée aux trames des tentures,

Le placard du rayon de miel, des confitures,

La jatte de lait frais, le pain bis, le fruitier,

Le brin de buis qui sèche aux bas du bénitier,

La fumerolle d'un tison, parmi la cendre,

Le tiroir aux secrets du meuble en palissandre,

L'écran de vieille soie où meurent des couleurs,

L'arôme du dernier plateau de thé, les fleurs

Au vase de faïence ou de Chine posées,

Ou le vent du jardin entrant par les croisées,

...Aussi bien, et non moins vibrant, si plus subtil,

Le lointain battement de coeur, le mince fil

Tendu des au-delà vers les choses aimées

Comme un rai de soleil aux persiennes fermées,

Et des regards éteints ou des exemples tus

L'immanence, en reflets de charme ou de vertus...

Tout, à la lenteur d'effluve, à la longueur de survie,

Envelloppant le cadre où s'esquisse la vie

Ephémère - lueur furtive d'un  moment -

Sous le quotidien et calme enchaînement

De l'heure à l'heure égale et des gestes semblables,

Tout, à longueur de siècle, imprègne comme sable

Nos murs, d'où cent parfums mêlés et resurgis

Composent le parfum intime d'un logis.

- Celui que je veux dire est indéfinissable.

TOAST
- à Madame LE CLECH'
pour le mariage de ma nièce - Germaine BARRIERE - avec Hervé LE CLECH' (Septembre 1930) aux Counils
 

Madame, Les Counils, ce soir,

Tels que vous voulûtes les voir

Sous leur parure de septembre,

Où s'émeut de quelques grains d'ambre

L'émeraude de leurs colliers,

Nos Counils, pelouses, halliers,

Bosquets, perspectives, terrasse,

Sont tout à l'honneur et la grâce

De la fête qui leur échoit

Et de penser que pour leur toit

Désormais va luire, Madame,

Une étincelle de votre âme,

Puisque pour compagne et pour femme

Voici l'une de leurs enfants

Par l'un de vos enfants élue...

 

Autour de ce jeune printemps,

Nos vieux Counils, en bienvenue,

Ont étalé tout leur trésor :

C'est leur vivifiante haleine,

C'est de la montagne à la plaine

Le prestige de leur décor,

Ce sont, renouvelés sans cesse,

Leurs soirs, leurs aurores et leurs

Clairs de lune; c'est l'allégresse

De leur bourdonnante jeunesse

A la fois ruche... et les fleurs!

 

C'est encore, comme il doit être

Au seuil de nouveaux avenirs,

Leur cortège de souvenirs ;

Vous voudrez, Madame, permettre

Qu'à travers les voeux qui vont naître

De nos lèvres et de nos coeurs,

Nos Counils expriment, fidèles,

Ceux qui les ont, dans un bruit d'ailes,

Ou dans les tonnerres vengeurs,

Quittés, pour des Counils meilleurs...

 

Mais s'ils gardent pure et brûlante

L'huile de leur lampe et si, lente,

Est pour leur âme vigilante

L'approche du trouble Léthé,

Nos Counils ne sont point moroses,

Ils savent se fleurir de roses,

Ils respirent joie et santé,

Ils aiment, autour de leur table,

En une agape confortable,

Voir se reformer, à leurs jours,

Le cercle plus large toujours

De leurs hôtes. D'or ou de vermeilles,

Les liqueurs qu'ils savent tirer

De leurs vergers et de leurs treilles

Ne sont pas tant à dénigrer.

Et pour que, ce soir, soit complète,

Avec notre fête, leur fête ;

Pour célébrer selon leurs lois

Les "noï" comme on dit en patois,

Nos vieux Counils, suivant l'usage,

Au bonheur du futur ménage

Entendent eux aussi trinquer

Et, pour ce mieux faire, choquer

A la mode de la campagne,

Et dans un geste guilleret,

Au cristal ténu qu'accompagne

La mousse du vin de Champagne,

Un verre de leur vin clairet !

 

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